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Crazy Horse: avant/après Lettre à monsieur Bernardin

  Alain Bernardin  

Ivan Kraus, mieux connu sous le nom The BLACKWITTS est le pensionnaire le plus ancien du CRAZY. Ivan et Nadja connaissent Bernardin depuis 1968, époque où Alain Bernardin leur a fait un contrat bidon pour les aider à sortir de l’ex-Tchécoslovaquie. Depuis 1976 ils sont les enfants chéris du Crazy Horse. En 1979, Ivan a écrit un article sur le Crazy Horse et sur Bernardin pour un magazine allemand. A cette époque l’établissement était déjà célébrissime et son patron en pleine folie furieuse. Voici donc le vrai Bernardin comme tout le monde devrait le connaître. (Otto)

" Qui est votre employeur ? " me demande la personne au guichet de ma banque. Le " Crazy Horse " répondis-je. L’homme pose son stylo et commence à me dévisager comme il le ferait pour une belle fille….Évidement, il ne croyait pas un mot de ce que je lui racontais. " Dis lui que tu es marionnettiste " me chuchote ma femme à l’oreille. Pour des raisons qui la regardent, elle voulait que la situation soit claire. Je disais donc au Monsieur que je n’étais qu’un marionnettiste sans savoir ce qu’il pensait vraiment de moi…

La plupart des gens qui entendent parler du plus célèbre cabaret d’Europe pensent Strip-tease. Et moi je ne peux m’empêcher de dire exactement le contraire. Le but d’un Strip c’est de faire déshabiller la fille sur scène. Mais, au Crazy Horse, les filles sont déjà déshabillées quand elles rentrent sur scène ! Pire encore : Alain Bernardin les habille au cours de leur numéro…On ne peut pas dire qu’elles portent beaucoup de vêtements, mais quelques ombres, quelques tâches colorées, des figures géométriques et d’autres graphismes remplacent les costumes. Au Crazy les filles sont colorées, habillées et baignées de lumière. Elles ne sont donc pas complètement nues mais sans costumes tout de même. Cette invention de monsieur Bernardin, fondateur du Crazy Horse (il y a vingt sept ans aujourd’hui) est copiée par une douzaine d’établissements dans le monde entier. Mais il n’y a pas de concurrence pour le CRAZY HORSE SALOON. Bien que la salle, jadis une cave à vin, ne possède que deux cent cinquante places (quatre cent aujourd’hui) , il y a plus de deux millions et demi de spectateurs qui ont vu ce programme.

A propos des filles, on en dénombre à peu près vingt. Monsieur Bernardin les choisi personnellement et fait trois fois par an le tour du monde pour trouver les actrices de son entreprise. Il ne suffit pas d’être belle et de savoir bouger pour travailler au Crazy Horse. Si une fille veut y travailler (et il y en a beaucoup !), elle doit jouer son rôle avec plaisir. A part cela elle doit être disposée à faire deux spectacles par soir, répéter et perdre son vrai nom. C’est ainsi que naissent les Sophia Palladium, Lilly Paramout, Trucula Bonbon, Kiki Zanzibar ou Greta Fahrenheit. Les solistes gagnent environ mille cinq cent deutschemarks par semaine (en 1979) dont vingt pour cent vont automatiquement sur un compte Épargne Logement.
La première fois que je suis arrivé au Saloon, je m’attendais à trouver une sorte de bordel. Mais cette impression s’envolait aussitôt que je vis les pointeuses dans le hall. Les filles du spectacles viennent au travail comme n’importe quel autre salarié. Donc pas question de parler de Sodome et Gomorrhe : ici nous sommes presque dans un couvent. La Maison est surveillée par toute une noria de videurs célèbres qui ne laissent entrer aucune personne non inscrite sur la liste du jour. Si je veux rendre visite à mes collègues un jour avant mes débuts, c’est impossible… les danseuses ont leur loge, hermétiquement séparées de celles des autres artistes. Et si on veut aller de la salle aux coulisses, il y a une vingtaine de serveurs qui vous en empêchent avec fermeté. Je pense qu’il doit y avoir pas mal de beaux millionnaires qui ont échoué dans leur tentatives car il est impossible de faire parvenir une carte de visite à une fille ou de connaître son numéro de téléphone. Quand les filles quittent le cabaret, elles sont surveillées par le personnel et montent directement dans les taxis qui les attendent à l’entrée des artistes. Et ceci tous les soirs avec des horaires différents, donc impossible de prévoir quoique ce soit.
Évidement, on prête beaucoup attention aux danseuses. Je suis étonné qu’il n’y ait nulle part un écriteau : TOUT POUR LES FILLES. Grâce à monsieur Bernardin, on s’occupe énormément des filles et elles bénéficient des services des meilleurs chorégraphes, tailleurs, et photographes. Chaque détail est réglé, même la température ne doit jamais descendre en dessous d’un certain niveau. Une légende : il paraît que le patron aurait un jour, signé un contrat sur une nappe en papier dans un restaurant. L’artiste en question, devint un peu nerveux puis se calmait très vite quand il s’aperçut que le contrat était respecté. Et cet incident devint une légende. Dans le programme du Crazy on trouve aussi des comiques, des magiciens ou moi et ma femme. Les numéros choisis par monsieur Bernardin doivent être originaux et courts, pas trop de parlotte et pas trop d’exigence quand à l’encombrement de la scène déjà petite. Même les couloirs, les bureaux et les loges sont miniaturisées. Seuls de grand panneaux en tôle avec différentes inscriptions sont " notre devise : performance maximum dans un minimum de temps pour un salaire maximum et il n’est pas indispensable d’être fou pour travailler ici, mais ça aide " . D’autres panneaux, comme par exemple à coté de la scène se trouve un panneau sur lequel les maîtres d’hôtel doivent pointer toutes les quarante cinq minutes toutes les choses à contrôler. Un autre formulaire indique clairement à combien de boissons ont droit les techniciens. Une note de service précise que les artiste peuvent inviter des gens à boire et qu’ils doivent payer un franc par boisson. Quant on sait que la boisson coûte cent soixante dix francs en salle, on suppose que monsieur Bernardin aime bien les artistes.
Il y a de nombreuses fonctions au Crazy, et surtout Véronique bras droit de monsieur Bernardin (elle est partie rejoindre ses amis à l’hôpital St Anne, ndlr). Véronique est l’auteur des lettres que l’on trouve parfois dans nos loges. Exemple : nous vous demandons de bien vouloir noter le changement du minutage du spectacle pour demain. Le show n’aura pas une heure et cinquante-sept minutes mais seulement une heure et cinquante trois minutes. Signé Véronique. Tampon : Véronique.

Au Crazy Horse on pense à tout. Tout est planifié, noté, affiché et confirmé. Un fait qui va devenir une légende : un jour Bernardin engage un numéro, mais comme il n’y avait pas assez d’espace scénique il décide de démolir un mur … en vingt quatre heures. Mers confrères et moi même disons souvent que des choses pareilles sont impossibles. Pas aux yeux du patron ! Pour lui l’impossible n’existe pas.

 
Aussi incroyable que cela puisse paraître : Bernardin n’a pas de bureau. Depuis vingt sept ans il est assis sur un tabouret de bar devant une planche en bois et face à un grand tableau où sont inscrits les répétitions, arrangements musicaux, photographies et dates de changement de numéros ainsi que les nouvelles notes de services….à quelques pas de là : la machine à pointer et la porte obligée pour les serveurs ; un peu plus loin encore : le bureau des secrétaires. Véronique n’a que trois pas à faire lorsque le directeur l’appelle …devant cette planche les gens font la queue : un tailleur, un photographe, un journaliste pour une interview, des danseuses en robe de chambre, le maître d’hôtel avec des factures. Les secrétaires courent dans tous les sens avec le courrier. C’est un grand exploit que de parler à Bernardin en tête à tête et je n’ai réussi à le faire que très peu de fois. Quelques fois un architecte fait la queue pour discuter de la transformation des loges qui se fera, bien entendu, sans interruption du calendrier des spectacles. On a aussi vu une équipe de cinéma attendant d’être reçue, comme l’an dernier où Bernardin envoyait toutes les filles sur les écrans du monde entier. Une légende vraie : avant que monsieur Bernardin n’arrive, la " bombe " doit être sur la table. Pas une vraie mais une boule de papier . C’est le patron en personne qui cache cette bombe quelque part dans le labyrinthe des nombreux couloirs, petites pièces et vestiaires. Les serveurs doivent la chercher et dire combien de temps leurs recherches ont duré et à quel endroit la bombe a été trouvée. Car au Crazy Horse on pense à tout même à ce qui n’est pas encore arrivé…mais pourrait arriver !
 Et il n’y a aucune décision qui puisse être prise sans que monsieur Bernardin ne le sache. Quand il est en voyage, ses collaborateurs savent toujours où le joindre le plus rapidement possible. Encore une légende : il ne dort que quatre heures par nuit. Mon collègue Georges Carl a fait le calcul suivant : si le directeur travaillait huit heures par jour, il devrait travailler soixante quinze jours par mois . C’est peut être pour cela qu’il ne se souvient parfois même plus de mon nom. Et c’est aussi pour cela que certaines personnes pensent que Bernardin est un véritable ordinateur. Mais connaissez vous un ordinateur capable de rappeler à un artiste de remplir et renvoyer son bulletin de loto ? Quelques avis sur Bernardin : un excentrique, un parfait manager, il n’est pas normal, personne ne sait ce qu’il pense, il offre les meilleurs conditions, il n’y en a pas deux comme lui dans le monde du show-business.

 " Vous travaillez au Crazy Horse ? " me demande l’imprésario. Après quoi il me dit que dans cette entreprise, il n’y a qu’une seule vedette. " Laquelle ? " lui demandais-je. " Alain Bernardin " me répondit-il . J’étais tout à fait d’accord avec lui. Le Crazy Horse est un one man show.

(article des Blackwitts traduit de l’Allemand par Otto Wessely)