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monsieur Bernardin Mes 1460 nuits au 12 avenue George V

Lettre à monsieur Bernardin

Cher monsieur Bernardin.

Début décembre lors d’une sortie avec une copine du Crazy Horse (je sais, c’est défendu mais cela fait doublement plaisir !) nous discutons, comme c’est souvent le cas de Bernardin.

Otto me dit –elle, tu devrais lui envoyer une lettre personnelle : cela lui ferait plaisir. Rien que l’idée de vous écrire une lettre personnelle me paraissait aussi infranchissable que de vous demander un bisou (mais on y pense…) Comment rédiger quelque chose de personnel à un homme qui ne communique qu’à coups de notes de services et d’avertissements, quand il ne nous envoie pas à la figure le règlement intérieur de la Maison en guise de réponse… Commencer par " cher ami " ? " Alain " ? ou " Monsieur " ? L’idée d’attaquer par "vieille salope" parcourt mon esprit et m’amuse joyeusement mais, au fur et à mesure que la soirée avance (le Marais, le Queen, Les Bains, XTC) j’oublie mes envies de correspondance avec le BOSS. Pourtant le lendemain, je me remets à l’ouvrage avec davantage de sérieux en écrivant quelque chose comme " vous savez, nous vos employés, vos esclaves, nous sommes aussi des êtres humains qui méritent de temps en temps un peu d’attention, de compréhension et de politesse… ". Trois jours plus tard, mon imprésario me téléphone : Bernardin s’est donné la mort ! Pour une surprise, c’était plutôt salement réussi…Combien de fois, je vous ai souhaité la peste et le choléra (et puisqu’on y va franco : le sida et un contrôle fiscal en prime !)…Mais maintenant que vous êtes parti, je pleure et je ne sais pas pourquoi. Un peu comme en 1984, quand je faisais mes débuts au Crazy, je me sentais sécurisé et pas paniqué quand on me disait : " Otto fais gaffe, IL te regarde ! " . Ou encore, quand vous étiez en voyage, et que personne n’était là pour m’engueuler : je me sentais paumé même si au fil des années , je ne me suis toujours pas blindé . Depuis le quinze septembre, je suis comme un zombie et le BOSS me manque…

Chacun s’accordait à dire : Otto et Bernardin sont les opposés. Je n’en suis pas si sûr. Pour la discipline je l’admets. Pour l’intransigeance, c’est déjà moins évident, et en ce qui concerne l’humour, il y avait des farces que vous étiez le seul à comprendre.

 Parce que vous saviez mieux que quiconque la férocité de l’humour. Communiquer avec vous nécessitait les services de trois personnes : moi, un psychiatre et une voyante. Quand je parvenais à déchiffrer vos conseils pour mon numéro, c’était toujours dans le mille. Merci ! vous étiez un homme secret, et cela animait d’autant les conversations. Au cours d’une soirée en 1981 en Afrique du Sud, je me suis retrouvé avec une de vos ex danseuses et une de vos ex secrétaires. De quoi pouvait on parler ? De Mandela, de Dieu ? Non ! De vous….Et comme d’habitude, on a bien rigolé.

Vous étiez impoli, brutal, injuste et dur…mais une chose est certaine : vous ne laissiez personne indifférent et étiez bien plus humain qu’il n’y paraissait au premier abord. D’où vient cette sensibilité, ce sens de l’esthétique, cette intuition, cette générosité et ce goût de l’extravagance ?

Cela ne vient pas de la tête mais des tripes : vous possédez une âme avec un grand A . Cette Ame qui ne laisse pas de trace de business. Parfois on vous haïssait, souvent on vous respectait et on vous aimiez bien plus que vous ne pouviez le penser.

Vous étiez émouvant en 1989, quand vous caressiez les marionnettes des Blackwitts dans les coulisses, persuadé que personne ne vous voyait. Ou en 1984, lorsque vous étiez le premier à faire confiance à un fou nommé Otto Wessely , en lui signant un contrat de longue durée…

Le lendemain de votre décès, j’ai fait un bout de chemin avec vous et nous discuterons ensemble dans quelques années au Paradis. On va bien se marrer tous les deux.

Otto.