J'ai rencontré pour la première
fois Otto et Christa il y a à peu près 20 ans à Düsseldorf. C'était
dans l'un des derniers théâtres de variétés en Allemagne qui
programmait encore un ou deux artistes chaque mois. Otto y
présentait son numéro comique de lames de rasoirs et de cannes. Il commençait
à faire de Christa sa partenaire de scène. Je me
rappellerai toujours de la première fois où il l'a présenté. Il a
dit au micro: "tous les magiciens ont leur assistante, donc moi
aussi,... j'ai la mienne !". Christa était vêtue d'une superbe tenue
de soirée, fumant une longue cigarette; elle est montée sur scène, l'
a traversée et elle est repartie aussi tôt... C'était grandiose ! A
cette époque, Otto, Christa, ma femme et moi même, nous nous
rencontrions assez souvent et sommes vite devenus amis. Dès que nous le
pouvons, nous nous voyons toujours, que ce soit ici ou à Paris, et à
chaque fois , je réalise qu'il a toujours de nouvelles idées sur notre
art. Il réfléchit sans cesse sur le sens de sa propre magie. Il ne
m'a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre qu' Otto n'est pas
seulement une sorte d'amuseur un peu fou. Otto est un véritable clown
moderne dans le sens le plus noble du terme et davantage encore:
il est le "Bouffon"; celui qui a, seul le droit de dire ce qui
ne va pas. Sous ses apparences de magicien comique , on découvre
à quel point il est sérieux. Ce qu'il dénonce n'est autre que
la réalité de ce qui se voit partout... pensons par exemple à toutes
ces assistantes qui ne font strictement rien sur scène, qui ne sont que
des "potiches"...
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Witus Witt :
Dans le
" who
‘s who in magic " Whales écrit à ton sujet :
" ….spécialisé dans la comédie magique délirante et dans
la magie absurde " Est ce que tu représentes cette forme de
Magie, Otto ?
Otto Wessely :
La comédie est dans tous
les cas délirante. Sinon, les gens ne riraient pas. Mais, ce qui
paraissait fou hier est tout à fait normal aujourd’hui. L’expression
" crazy " prend au fil des ans un nouveau sens. Il y
a 30 ans, c’était très amusant par exemple de faire apparaître une
chaussette entre deux foulards dans le tour du " 20ème
siècle "... Aujourd’hui, avec ce gag on obtiendrait au
mieux de la part du public un petit sourire poli….Tu ne peux plus
faire juste un gag sans le mettre réellement en scène. Il y a vingt ans, c’était
encore possible, mais désormais, pour que le public l'apprécie,
il est nécessaire que le magicien s'implique totalement; qu'il ressente
profondément ce qu'il présente. Et ce n'est pas une chose facile.
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Witus Witt : C'est quoi au juste pour
toi la magie vulgaire ou totalement absurde?
Otto Wessely : A vrai dire, il y a plusieurs
exemples :
-Il y a d'abord ce jeune de 20 ou 25 ans qui s’enferme
lui même dans un costume du 19ème siècle, qui
utilise une musique des années 30- ou au mieux des années 50-en
faisant apparaître de " splendides " bouquets de
fleurs en plumes, des petits foulards, des cordes, des cartes et
autres streamers, et qui apparaît lui même d' une horrible boîte ou
coffre …au lieu de faire apparaître des motos sur une music funky ou
hard rock . Il faut vivre avec son temps !
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-Il y a aussi ce type de 50 ans, chauve et idiot, qui
raccommode une corde ou qui agite quelques foulards roses
... au lieu de remplir des formulaires derrière son guichet de la
Sécurité Sociale .
-Il y a également le business man qui s'affuble d' un nez rouge et
qui insulte l'intelligence des enfants avec des trucs
comme les cartes à points ; il n’est toujours pas au courant de
ce qu’ont bouleversé Mickael Jackson et Quincy Jones.
-Il y a enfin toujours ces mêmes colombes, ces mêmes sacs à
échange, ces assistantes parées de "leur plus belles robes de
soirées", ces mentalistes qui devinent la couleur d’objets aussi
ennuyeux qu’inintéressants comme des dés, etc.. au lieu de nous
donner les six bons numéros du loto ! et puis ces femmes
laides que l'on compresse dans d'horrible boîtes et que l'on transperce
à coup de piques en bois. Ce serait tellement plus amusant si on les brûlait
sur scène !
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Mais la chose la plus bête que je n’ai jamais vu, c’était à la
session du " Spellbound " de 1990. Tu pouvais y voir
5 magiciens qui pendant deux heures n'ont fait que bouger des
boîtes sur roulettes. Sur une sorte de musique
des années 70, ils levaient de temps en temps ces boîtes en
l'air et en sortaient divers trucs. Ca n'avait vraiment aucun
sens. Ils auraient dû se passer de ces boîtes et faire
apparaître leurs objets de "nulle part" comme un vrai magicien
l'aurait fait. Au lieu de ça, nous avons eu droit à plus de vingt cinq
boîtes durant une heure et demie ! C 'est le record absolu de l’absurdité !
Et je refuse cette absurdité. Pour moi il y a la Magie (je pense à
Lance Burton, Jeff Mc Bride, Eugène Burger, etc.) et puis l'absurdité,
une anti-Magie qui est ridicule.
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Witus Witt : Merci Otto pour ta réponse. Je me demande
combien de magiciens la comprendront. J’ai beaucoup ri, mais tu as
raison dans le fond. Cela me prouve une fois de plus qu’il est bien
difficile de te ranger dans la même catégorie de nombreux autres
magiciens. Tu es vraiment à part. Je
suis toujours fasciné par ton approche de notre art et ta réflexion.
Peux tu me dire ce que veut dire pour toi la magie , et plus spécialement l’art de la magie ?
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Otto Wessely :
Ce n'est pas évident, et je change moi
même souvent d'avis. Mais les choses ne sont
jamais figées. Le temps fait évoluer. Il n’y a pas un seul chanteur,
un seul peintre, un seul écrivain, un seul créateur de mode qui rêve
d’être comme il était dans les années 70. Les magiciens sont l’exception...
On trouve normal de voir un magicien qui ressemble trait pour trait,
dans son comportement comme dans son look, à une vieille image
des années 60. C’est vraiment triste ! Elvis-the King- n’était
plus le même dans les années 70 comme dans les années 50. Sean
Connery ne joue plus James bond de la même façon et Marlon Brando ne
conduit plus une moto comme il y a 30 ans. Alors pourquoi devrais-je
faire le même numéro, 30 ans après ?
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Pour moi la magie ou l’art de la magie veut dire (hormis bien sûr
de faire des choses inexplicables, ce qui reste à la base de
toute la magie) que l’on extirpe le public de son quotidien et qu’on
l’emmène rêver. Chacun de nous avons nos propres rêves et nos
illusions.
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Sans ça, la vie serait d'ailleurs vraiment insupportable.
Nous autres magiciens, nous donnons de l’espoir aux gens. Un " vrai " magicien c’est par exemple le gagnant
du grand prix de la FISM 1991 : Vladimir Danillin . Il
avait tout : l’amusement, la poésie, l’étonnement, la
beauté et l’humour. Du coup, tous ces vieux magiciens
"endurcis", ces loosers désespérés, ces juges de mauvaise
humeur, comme la crème des grands pro se sont tous unifiés pour
redevenir des gamins de 5 ans.
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Witus Witt : En tant que professionnel, Otto, tu as
participé deux fois à la compétition de la FISM. Je pense
personnellement que ces compétitions sont d’abord réservées aux
amateurs . En 1973, tu as présenté ton numéro avec les lames de
rasoirs et les cannes, et tu n' as pas remporté de prix. En 1982, tu as
gagné le premier prix à Lausanne. Cela m’amène à te poser deux
questions en une : est ce que tu voulais prouver aux amateurs ton
talent et que penses-tu des compétitions en général ?
Otto Wessely :
La réponse à la première partie de ta
question est oui.
Pour la seconde partie, je dois dire qu’une compétition avec des
" troisième catégories " amateurs et
" quatrième catégorie " pro, n’est qu’un
festival de vanité et de mauvais goût. Mais revenons à la FISM .
C’est la seule convention où le premier prix est régulièrement
remporté par des professionnels , sans qu’il y ait une forte
compétition. Si un Lance Burton ou un Topper Martyn ne croient pas que
c’est dangereux de se risquer à la compétition, alors pourquoi je n’irais
pas moi aussi ? Regarde, les deux autres gagnants en "comédie"
de Lausanne. Il y avait The Great Fiasko (Therry Herbert) et Topper
Martyn, les deux sont de pros. C’était drôle de concourir à leur
côté et finalement de gagner. Par contre, si j’avais dû gagner
contre un directeur de banque, dit monsieur X , qui porte un nez rouge
deux fois par an pour Carnaval, je pense que j’aurais ignoré le prix.
La FISM est la seule compétition où tu côtoies
des magiciens d’un
niveau élevé. Cela ne veut pas pour autant dire que je néglige les
conventions plus locales, mais il y a les jeux Olympiques et puis les
courses " de sac à patates " dans des villages. Les
deux ont évidement leur raison d’existence, mais je ne peux pas les
comparer. Je salue au passage la performance de l'Allemand Topas , qui a
prouvé à Lausanne en 1991, que la qualité n'a rien à voir avec
l'âge ni l'expérience d'un amateur ou d'un professionnel.
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Witus Witt : C'est assez
juste, mais permets
moi de te poser encore une question sur la FISM. Que
t’a apporté ce prix ? Est ce qu’il t’a aidé par exemple
dans ta vie professionnelle ?
Otto Wessely : D’abord, dans ma vie privée
énormément. Ma belle-mère a compris que je n’étais pas un
" looser ". Et ma tante est
revenu sur sa décision de me déshériter. Au
niveau professionnel : nous avons été invité à participer
au grand show annuel de Los Angeles – "It’s magic" –Le
directeur du Las Vegas Hilton nous a vu là bas, et nous a retenu.
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Witus Witt : Otto, je pense qu’il y a peu de magiciens
qui savent que tu as eu, il y a quelques années, un show de deux
heures. Je t’ai vu dans ce ravissant théâtre
à Paris et je me rappelle parfaitement le nom de ton spectacle :
" la Révolution des colombes ". C ‘était génial
et la presse t’as réservé d'ailleurs le meilleur accueil. Mais
pourquoi avoir mis au point ce spectacle alors que ton seul numéro
comique t’assurait le succès ?
Otto Wessely :Jusqu’à présent, ce spectacle reste mon
meilleur souvenir. Il a été donné pendant huit mois à Paris. Durant
ces huit mois j'ai gagné trois mille francs. Mais
ça été ma plus grande satisfaction d’un point de vue artistique. Tu
peux exprimer en deux heures tellement plus de choses qu’en seulement
10 mn de représentation. Cet hiver, je vais essayer de refaire deux
autres heures de spectacle, mais cela ne me dérangerait pas du tout si
cette fois ci cela marchait financièrement. Penn
& Teller sont mes exemples. Voilà ce que j’appelle un
spectacle !!
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Witus Witt : Je te souhaite tout le succès, et je
croise les doigts. Hormis ce spectacle , quel est
l’engagement que tu as trouvé le plus intéressant ?
Otto Wessely :
Il y a deux ans, j’ai participé à un
gala donné en faveur des enfants atteints du cancer. L’institut Curie
est l’un des hôpitaux les plus modernes de Paris. Nous avons fait une
heure de spectacle, devant des enfants dont certains, sous traitements
chimiothérapiques, sont venus rien que pour nous voir. Pour plusieurs d’entre
eux, c’était la première fois qu’ils assistaient à un spectacle,
et peut être la seule fois…
Le personnel encadrant était également présent, et après ce
spectacle, l’une des infirmières nous a dit : " Vous
ne pouvez pas imaginer le bien que vous nous avez fait. Nous allons
vivre dans le souvenir de ce spectacle pendant des mois. Pour vous ce n’était
qu’une représentation de plus, mais pour nous, c’était un véritable événement "Le même jour quand nous
sommes rentrés, nous avons vu le film Bagdad Café... Ce jour là
nous avons eu l'impression extraordinaire d'avoir été de vrais
magiciens.
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Witus Witt :
ta réponse me touche et je te crois volontiers.
Dis-moi, comment vois tu l'avenir de la Magie? Crois-tu qu'elle va
survivre à la prochaine "Guerre des étoiles" et toutes ces
avancées technologiques ?
Otto Wessely :
Oui.
Toute la technologie, même la plus compliquée peut s' expliquer, alors
que la magie reste inexplicable. Elle est belle et métaphysique. Je
pense que le 21ème siècle sera celui de la spiritualité comme le
20ème était celui du barbarisme et du matérialisme. La magie ne sera
plus à l'image si propre de ce magicien qui sort un lapin de son
chapeau. Non, elle aura un parfum démoniaque et
transcendantal..... Le bon vieux Kalanag était dans le vent.
Quand il faisait disparaître une voiture ou quand il sévissait dans
son "magic bar", il n'aurait jamais pu imaginer avoir une si
grande influence....Eugène Burger, Lance Burton, Jeff Mc Bride, Uri
Geller, Penn & Teller, vous êtes prêts pour le 21ème siècle!
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Witus Witt :
Attends un peu Otto. Car cela voudrait dire que la magie
ferait un retour en arrière. Tu penses vraiment que la Magie doit
redevenir mystique ?
Otto Wessely :
Non, non et non ! bien sûr que non ! mais durant
les années 60 et 70 nous sommes devenus trop sages, trop ennuyeux.
Pendant que Mike Jagger cassait la baraque avec "i can't get no
satisfaction", nous les magiciens, on osait faire apparaître
d'horribles foulards de petites boîtes scintillantes, et le tout sur
une musique cha-cha... on ennuyait aussi à mort les gens avec les anneaux
chinois.
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On a dû attendre ainsi 20 ans, jusqu'en 1991 pour
qu'enfin Tim Ellis nous apprenne à faire convenablement la routine des
6 cartes. Les gens veulent voir quelque chose de nouveau, quelque chose
qui puisse les surprendre. Je ne dis pas que la magie doit être de
nouveau mystique, mais juste un petit peu plus sulfureuse et diabolique.
Cela nous ferait du bien et serait beaucoup moins ennuyeux pour le
public. Si Penn & Teller s'enferment dans une cabine en verre
remplie de centaines d' abeilles , c'est quand même beaucoup plus
intéressant que de faire disparaître un noeud sur une corde. Quand un
mentaliste révèle les fantasmes sexuels les plus intimes d'un
spectateur, ou qu'il prédit le gagnant de la coupe du monde de
football, c'est autrement plus captivant que de trouver le signe d'une carte ESP
choisie. Bien sûr que le tout le monde sait qu'il y a un truc,
mais faut il le rappeler tout le temps ?
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Witus Witt :
Je suis d'accord avec la première partie de ta
réponse, Otto, mais le reste est un peu difficile à suivre. Enfin,
c'est ton opinion. Dis moi quel est le magicien qui t'a inspiré ?
Otto Wessely :
Richardi Jr, Richardi Jr, et encore Richardi Jr !
Witus Witt :
Oui, c'était un grand monsieur. As-tu un conseil à donner à un jeune
magicien ?
Otto Wessely :
Oui, celui de n'écouter justement aucun conseil !
Witus Witt :
Ha,
ha, ha ! ...il y a quelque chose que tu n'aimes pas ?
Otto Wessely :
les anneaux enclavés fait avec des cordes.
Witus Witt :
C'est quoi ton truc préféré ?
Otto Wessely : C'est le
FP. Mon conseil pour tout magicien est de ne jamais
sortir de chez lui sans F.P ni... capote.
Witus Witt :
Otto, merci pour cette superbe interview.
Otto Wessely :
Soit
mon invité et prenons un verre !
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